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Combattre la douleur

Publié le par Audrey

Combattre la douleur

Dans notre profession, c'est inévitable, la douleur fait partie du quotidien. Nous infirmiers avons pour rôle de l'évaluer, de la soulager, et de la prévenir lors de nos soins. Seulement parfois, malgré toute notre volonté, cela ne fonctionne pas et nous nous voyons contraint de vous faire mal. Cela va de la douleur lors d'une injection, d'une prise de sang que l'on doit refaire ou de la pose d'un cathéter jusqu'à la douleur insoutenable lorsque l'on refait vos pansements et qui persiste tout au long du jour et de la nuit. Et qu'importe l'intensité de votre douleur, nous nous en voulons toujours un peu lorsque nous ne parvenons pas à la réduire.

Il y a environ un mois, j'ai eu en charge un patient qui avait été amputé en dessous du genou gauche et présentait des plaies nécrosées au talon droit. Dès son retour de bloc dans le service, il se plaignait de vives douleurs, jugées normales en post opératoires et traitées avec des protocoles spécifiques. Mais rien n'y faisait, la douleur persistait, d'autant plus lorsqu'il bougeait. Alors nous avons demandé l'avis d'infirmières spécialisées dans la prise en charge de la douleur qui ont adapté le traitement. Un léger mieux s'est fait sentir au départ, mais ça ne dura guère. Un matin, nous devions refaire le pansement avec l'infirmière. Voulant prévenir la douleur, nous lui avons amené du Kalinox en masque, un gaz analgésiant. Pendant que l'infirmière s'occupait de la réfection des pansements, laquelle était estimée à une bonne demi-heure, je tenais le masque et gérais le Kalinox administré au patient. Mais malgré notre volonté, la douleur persistait de façon tout aussi vive. Au départ, il supportait, il disait qu'il comprenait, qu'il fallait en passer par là. Mais au fil des minutes, il commença à hurler, à se crisper, se tordre. Il répétait "Je n'en peux plus" jusqu'à ce qu'il finisse par dire qu'il préférerait partir pour ne plus jamais avoir mal. La douleur est très subjective, mais imaginez ce qu'il devait ressentir, à quel point il devait être à bout pour en venir à souhaiter mourir? Ni l'infirmière, ni moi ne savions quoi dire, que faire? Alors je lui ai juste donné ma main qu'il a acceptée et a serrée tout au long du pansement. J'avoue qu'il me la broyait un peu. L'infirmière me demandait s'il ne me faisait pas trop mal, mais en comparaison avec sa douleur, ça n'était rien, et je pense qu'il avait besoin de s’agripper, de serrer quelque chose, aussi je reste persuadée qu'il valait mieux que cette "chose" soit plutôt quelqu'un, ne serait ce que pour avoir droit à une touche d'humanité. Vous n'imaginez pas à quel point je me sentais mal de ne rien pouvoir faire. Et l'infirmière aussi était mal, elle s'excusait, elle aurait semble-t-il préféré ne pas avoir à refaire ce pansement, ne pas avoir à lui faire endurer cela. Il n'en pouvait plus, mais il a tenu jusqu'au bout. Bien sûr il a hurlé, il nous a crié dessus, mais ça n'était pas sa volonté, c'est juste que c'était trop pour lui, trop dur à supporter et à accepter. Lorsque nous avons terminé le pansement, j'ai lâché sa main pour ranger le masque. Il me l'a tapotée et m'a regardée en me disant: "Merci". Je lui ai répondu " Non, merci à vous d'avoir été coopérant malgré ce que vous endurez. Vous avez beaucoup de courage.", ce à quoi l'infirmière a ajouté "C'est bien vrai".

A présent, ce patient est décédé. C'est arrivé quelques jours plus tard. Et au fond, même si un décès est toujours triste, je crois que pour lui, c'était peut être mieux. La souffrance était telle, et son état de santé se détériorant n'y arrangeait rien. Cela peut paraître insensible voire inconcevable pour certains, mais parfois, on est soulagé de voir un patient partir. Car il s'agit bien souvent de patients pour qui la mort est le seul soulagement possible. Peut être est ce défaitiste, mais il faut savoir être réaliste. Malgré tous nos progrès en médecine, il y a certaines personnes qu'on ne peut pas guérir, qu'on ne peut pas soulager, et pour qui on peut juste être présent pour qu'au moins, jusqu'à la fin, la vie garde un minimum de sens. Ce n'est pas tâche aisée, surtout quand la vie semble n'être que souffrance. Ce sont je pense de petits gestes qui leur rappellent que malgré cette souffrance, il y aura des gens pour s'occuper d'eux jusqu'à la fin. J'espère que si un jour je deviens la patiente en "fin de vie", des soignants et des étudiants seront là pour me tenir la main.

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