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Et puis un jour, je suis devenue infirmière…

Publié le par @Miss-Piquante

Et puis un jour, je suis devenue infirmière…

 

Quand j’étais petite, l’hôpital me paraissait être un monstre qui faisait souffrir les gens. Alors quand on me disait « tu devrais faire infirmière plus tard », je répondais bêtement « tu es folle, c’est trop dur pour moi, je ne pourrai jamais y arriver ». Je me suis répété cela si souvent. Infirmière, c’était loin d’être une vocation. C’était un défi qu’on me lançait et qui me faisait bien trop peur. Mais le temps est passé et j’ai grandi. J’ai choisi de me diriger vers un bac littéraire où je me suis éclatée, répétant à qui voulait l’entendre « non cette filière n’est pas bouchée, de toute façon je ne serai jamais médecin ni infirmière ». Et voilà toujours la même rengaine qui venait. C’est quand même bizarre de parler autant d’un métier qui était censé ne pas m’attirer. Et puis il a fallu faire un choix, trouver sa voie. L’enseignement ? Tout m’intéresse, je ne saurai me limiter un une seule matière et je n’aurai pas assez d’autorité avec les petits. Le social ? Pourquoi pas, mais j’avais peur de la paperasse, de l’administratif, de finir enfermée dans un bureau. Pourtant ils sont beaux ces métiers. Et puis au final, c’est vrai que j’aimerais beaucoup travailler avec les enfants, ça m’irait bien non ? Travailler avec les enfants… l’éducation non, le social non plus, le soin peut être ? Soigner les tous petits, en voilà un beau but dans la vie. Puéricultrice ? Ah mais oui, pour être puéricultrice, il faut être infirmière… Mais après tout, pourquoi pas ?

Et puis il y a eu ce déclic, je te l’ai déjà raconté. Ma mère, l’hôpital, le sourire des soignants. Allez, qui ne tente rien n’a rien, inscription et préparation aux concours ! Et entre temps, un petit stage pour être sûre que ça pourrait me plaire. Et à l’issue de ce petit stage d’observation : oui, je veux être infirmière.

La suite, vous la connaissez. Les trois années d’étude, les stages, les premiers moments marquants, ces patients qu’on n’oublie pas, la découverte de l’hôpital, la maladie, la misère, la souffrance, la mort… et puis la vie, beaucoup de vie, l’équipe, les rires, les larmes séchées, les merci, les mains tendues, les familles reconnaissantes, des combattants, des personnes courageuses, celles qui forcent à l’admiration. Trois années de galère, d’anxiété, de doutes, de larmes, mais trois années riches d’enseignements, de rencontres, de leçons, de sourires, d’humanité. « Je ne pourrai jamais être infirmière » et pourtant inconsciemment je devais le désirer. Parce que l’humain était au cœur du métier.

Et puis un jour, je suis devenue infirmière… J’ai débuté ma carrière en décembre 2016 au sein d’un service de médecine interne. Un service de 32 lits au sein d’un grand hôpital, peut-être trop grand. Alors bien sûr les premiers jours il y a l’excitation de la découverte, un nouveau service, être enfin une collègue, des pathologies inconnues, le travail avec les médecins, et une super équipe qui m’a accueillie et m’a accompagnée. Malgré les doutes et l’angoisse des premiers mois, ces moments où l’on se dit « je suis nulle, pas assez rapide, j’ai peut être fait une erreur, j’ai laissé du travail à ma collègue, je ne comprends pas mes prises en charge », il y a ces filles, toutes aussi incroyables les unes que les autres qui rassurent, qui répondent aux questions, qui nous voient craquer, qui nous ramassent par terre après un malaise, qui nous font rire et décompresser. Et au milieu de tout ça il y a les patients, tous ceux qu’on accompagne, ceux qui nous font remettre en question, ceux qui nous font nous sentir bien dans nos blouses. Il y a ces moments difficiles de culpabilité, et ces moments bénis de sentiment de travail bien fait. Il y a ces familles qui nous embrassent et nous remercient alors qu’ils viennent de perdre un proche, et celles qui fondent en larmes dans nos bras quand la fin leur fait peur. Il y a ces patients impatients et désagréables avec qui l’on garde le sourire, et ces patients si attachants qu’ils nous donneraient envie de pleurer. Il y a chaque jour beaucoup d’émotions qui se mêlent. Trop d’émotions ? Simplement de l’humain, car c’est un métier profondément humain à mes yeux.
 

Et puis un jour, je suis devenue infirmière…

Un jour j’ai vu mes collègues au bout du rouleau, ces collègues si incroyables qui ne pensaient qu’au patient avoir envie de s’écrouler et perdre toute leur patience. J’ai vu des collègues qui luttaient encore, prêtes à se battre pour ne pas sombrer, pour rester humaines, parce qu’au fond elles aiment encore leur métier. J’ai passé des journées sans boire, ni manger, ni uriner jusqu’à ce que je rentre chez moi épuisée. J’ai passé des journées à courir, à essayer de prendre le temps quand celui-ci me manquait, à finir en retard quotidiennement, à me sentir mal face à un travail selon moi « mal fait ». J’ai culpabilisé d’être en arrêt, j’ai pleuré lors de mon premier décès. J’y ai mis mes tripes et tout ce que j’avais. J’y amène tout le sourire et tout le positif que je possède. J’y mets une grande partie de moi. Comme toutes mes collègues je m’investis, mais peut être trop parfois. C’est un métier profondément humain, et toutes nous y donnons corps et âmes en essayant de ne pas se laisser bouffer. Car on ne peut pas faire ce métier sans y laisser une part de soi. Il y a trop en jeu.

Un jour je suis devenue infirmière et j’en étais tellement fière et heureuse. Aujourd’hui je suis triste de voir ce que la santé publique devient. Tellement dégradée en si peu de temps. En train de s’éteindre à petits feux, mais il n’y a aucun traitement pour soulager son agonie. Aujourd’hui j’aimerais rester positive. Mais en ce jour de repos je suis triste, fatiguée, perdue. Je n’ai pas encore un an de diplôme et voilà mon état. Je me sens encore plus minable devant ce constat. Je me raccroche aux formations, aux groupes de travail, à tout ce qui tend à améliorer notre service. Mais j’ai peur que ça ne suffise pas. J’ai peur de voir le bateau coulé. Si actuellement il n’y avait pas l’équipe, personne ne tiendrait. Mais l’équipe aussi s’épuise. Devant une telle charge de travail et une telle fatigue, l’entraide devient difficile. Alors que s’est-il passé ?

 

Je rêvais d’un métier profondément humain. Je rêvais d’être celle « qui a toujours le sourire » aux yeux des patients, celle qui apporte un peu de réconfort quand le monstre guette. Mais aujourd’hui toute la  force et les sourires qui m’habitent sont employés au travail. Si bien que je rentre, encore en retard, l’air dépité, sans force, ni sourire, ni envie de m’intéresser à celui qui va partager ma vie. Je rentre vidée, incapable d’être celle dont il est tombé amoureux, celle qu’il veut épouser. Et ça, c’est peut-être le plus difficile.

Un jour je suis devenue infirmière, et je n’étais plus qu’une infirmière

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